Affaire de la fusillade de la mairie de Mermoz/Sacré-Cœur : Le parquet traine Barth, puis le couvre du manteau de… l’immunité

Par Assane Seye On Oct 21, 2016

Le procès de Barthélémy Dias n’a pas eu lieux. C’est ce que l’on peut dire suite à la décision du juge de renvoyer l’affaire «Sine Die». Ce, suite à la demande du procureur, qui estime que le tribunal ne peut pas juger Barth et Cie tant que son immunité parlementaire n’est pas levée.

La chaleur est infernale, les bouffées de chaleur étouffantes et le palais de justice suffoque sous le manteau de ce beau monde venu soutenir Barthélemy Dias. C’était un jeudi «à risques» pour un homme politique dit «tenace» et «brave». Il ne fallait pas rater ça. Lui insuffler du courage était aussi nécessaire. Ses sympathisants l’ont très tôt compris. Hier 20 octobre 2016, dès les premières heures de la journée, ils ont rallié le palais de justice de Dakar pour soutenir le maire de Mermoz/Sacré Cœur, attrait à la barre du tribunal correctionnel de Dakar. Leaders de l’opposition, ténors du Parti Socialiste (Ps), politiciens, amis et sympathisants, ont marqué ce jour de leur présence. La salle 3, qui s’est remplie dès son ouverture, a ainsi refusé du monde, lequel s’est entassé dans le hall du tribunal. Seulement, rien n’a été comme imaginé. Les choses se sont passées vite. Très vite. L’audience, partie pour être un laborieux procès, n’a duré que le temps d’une rose. Lorsque le juge a appelé l’affaire «74» du rôle, le procureur s’est levé pour soulever une exception. A la grande surprise de tout le monde, le parquet a soulevé le fait que la juridiction ne peut pas juger le mis en cause et ses coaccusés, poursuivis pour association de malfaiteurs, rassemblement illicite suivi d’actions diverses, détention d’armes sans autorisation administrative, menace verbale de mort, coup mortel et coups et blessures volontaires. Estimant qu’au moment des faits et poursuites, Barthélémy Dias n’était pas député, le substitut du procureur rappelle que son statut de parlementaire pose problème. Barth ne peut être jugé sans la levée de son immunité parlementaire, dit-il.

«Je renonce à mon immunité…je veux être jugé aujourd’hui…»

Pour appuyer son argumentation, il a soulevé l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, qui dit que le député est couvert par l’immunité «à compter du début de son mandat, qui prend effet dès la proclamation des résultats de l’élection législative par le Conseil Constitutionnel.» Et l’article est clair. Il dit clairement : «Aucun député ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée. Le député pris en flagrant délit ou en fuite après la commission de faits délictueux, peut être arrêté, poursuivi et emprisonné sans l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale. Aucun député ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée nationale, sauf en cas de flagrant délit tel que prévu par l’alinéa précédent. C’est en cas de flagrants délits seulement que le député, qui est en plus en session, peut être jugé sans la levée préalable de son immunité parlementaire.» Un obstacle qui fait acquiescer les juges du siège, qui ont décidé de renvoyer l’affaire «Sine Die». Même si Barthélémy Dias a clairement dit au juge : «Je renonce à mon immunité…je veux être jugé aujourd’hui», le tribunal a été catégorique. La décision prise, Bathélémy est sorti de la salle, acclamé par ses souteneurs.

«Le parquet a fait la citation directe, il ne pouvait ignorer cet état de fait»REACTIONS

ME DEMBA CIRE BATHILY, AVOCAT DE BARTHELEMY DIAS

«Le parquet qui a fait une citation directe a dit que compte tenu de sa qualité de député, il ne peut être jugé et a demandé le sursis et le renvoi de cette affaire. Ce qui étonne, c’est que c’est le même parquet qui a fait la citation directe. Il ne pouvait donc ignorer cet état de fait. Cela renvoie à une seule chose : l’instrumentalisation de la justice, car ce procès n’a pas commencé par la citation, mais elle a été annoncée récemment dans une émission de radio de la place par un membre du gouvernement. Ce qui pose l’éternel problème de l’indépendance de la justice, parce que je ne peux pas dissocier l’autorité de poursuite de la tutelle.»

T. Marie Louise Ndiaye

Pape mor niang, avocat famille ndiaga diouf : «Rien ne s’opposait à ce que le jugement ait lieu…»

«C’est une exception qui n’a même pas été soulevée par les avocats de Barthélémy Dias. C’est ce qui parait un peu bizarre. C’est l’immunité parlementaire de M. Dias. Alors qu’on sait que M. Dias a toujours soutenu qu’il veut être jugé. Il s’est présenté lui-même devant la barre. Donc, rien ne s’opposait à ce que le jugement ait lieu. On a été vraiment surpris par cette position du parquet. Mais nous gardons notre calme et avons toujours confiance en la justice. Nous attendons que cette affaire soit amenée devant la barre. Nous voulons l’éclatement de la vérité. Nous allons faire les démarches pour que l’immunité parlementaire soit levée.»

Me EL HADJ DIOUF (DEPUTE) : «En le convoquant, il savait pertinemment qu’on ne pouvait pas le juger»

«Comme vous le savez, la Constitution sénégalaise et le règlement intérieur de l’Assemblée nationale protègent les députés du peuple sénégalais. C’est la raison pour laquelle il (Barthélémy Dias) jouit d’une immunité parlementaire. En le convoquant, il savait pertinemment qu’on ne pouvait pas le juger. C’est à la limite même une violation de la Constitution et de la Loi sénégalaise. C’est la raison pour laquelle, comme l’a dit le Tribunal, face à une disposition d’ordre publique, le Tribunal était dans l’impossibilité de juger cette affaire. C’est pourquoi il a ordonné le sursis et renvoyé «Sine Die» cette affaire. Il a dit renoncer à son immunité pour être jugé sur le champ, mais la loi est plus forte que Barthélémy Dias. Il n’est pas au-dessus de la Constitution. Cette dernière le protège. Il veut être jugé certes, mais ce serait une violation de la loi. Il doit attendre que cette immunité soit levée. Le poursuivant peut demander la levée de l’immunité parlementaire, mais si ses arguments sont fondés. N’importe quel député peut demander mais c’est à l’Assemblée de voir.»

KHALIFA SALL : «On subodorerait une velléité, une volonté de casser un homme politique»

«D’abord il faut rendre grâce à Dieu, prier sur le Prophète (Psl), prier pour le défunt, Ndiaga Diouf, renouveler nos condoléances à sa famille. Et se féliciter de ce que Barthelemy Dias ait eu gain de cause. Il ne cesse depuis cet événement, de demander à être jugé. Quand il a été député, il a demandé à être jugé. Pourquoi a-t-on attendu maintenant ? Cela fait cinq ans qu’il demande à être jugé. On l’a attrait devant le tribunal pour, aujourd’hui, chercher à le juger en connaissant sa situation spécifique. On subodorerait une velléité, une volonté de casser un homme politique. Le contexte ayant changé, sa posture ayant évolué, on a voulu un peu le mettre dans une posture de faiblesse. Qui connait l’homme sait que ce sera vain. Le combat qu’il mène est un combat de conviction, un combat pour lequel nous sommes tous là. Nous ne voulons pas que la mort de Ndiaga Diouf reste non éclaircie. Il faut qu’on le fasse dans des conditions qui soient conformes à la loi. Donc, c’est politique. Je crois que ça personne ne peut le nier. Cette démarche est politique. Parce que depuis 2011, il demande à être jugé. Il a fait la prison pour ça. Il accepte d’être jugé, il a demandé à être jugé et depuis cinq ans, il attend. Et c’est maintenant qu’on l’attrait, parce que la situation est particulière.»

Lexique : «Sine Die»

Le renvoi «Sine Die» est une mesure d’administration judiciaire qui signifie qu’une affaire est renvoyée à une date indéterminée. Formule latine, «Sine Die» veut dire «Sans fixer le jour». En Procédure judiciaire (Pj), la mesure est prononcée lorsque le juge fait face à un obstacle de droit ou à un obstacle de fait dont l’issue est incertaine, c’est à dire dont le sort ne peut être connu d’avance par le juge. C’est dans ces circonstances que le juge, sans issue, est obligé de renvoyer l’affaire sans précision de jour. Toutefois, Sine Die ne veut pas dire annulation. Ça ne signifie pas que la procédure est terminée, puisque dès que l’obstacle ayant déterminé le renvoi est levé, le procès est fixé à nouveau. Qui le fixe ? On a deux cas de figure. Soit c’est le juge lui-même, soit le procureur (s’il s’agit d’une affaire pénale). Une fois la date retenue, l’affaire sera rejugée à l’audience.

Marie Louise Ndiaye

ALIOU DIOUF, PERE DE FEU NDIAGA DIOUF : «Barthélémy Dias a tué froidement mon fils et l’a avoué»

«Ce qui vient de se passer ne m’a pas seulement intrigué, il a remué le couteau dans ma plaie. Je tiens tout d’abord à dire que je ne suis pas amnésique pour oublier que Barthélémy Dias avait déclaré à haute et intelligible voix qu’il avait tiré et atteint 3 personnes et que quiconque voulait savoir que l’une d’entre ces personnes était morte pouvait aller à l’hôpital. La légitime défense qu’il avait convoquée à l’époque, ne tient pas la route car Ndiaga Diouf avait été atteint dans le dos. Donc, il n’était pas dans une posture de confrontation. Maintenant, force est de reconnaître que les choses ont traîné. Depuis plus de 4 ans, on ne parvient pas à élucider cette affaire. C’est à la fois révoltant et honteux dans un Etat qui se veut respectueux des droits de l’Homme. Tout ce qui m’intéresse c’est qu’on fasse toute la lumière pour que la vérité éclate. On a assez parlé de mon fils, il est temps qu’on le laisse reposer en paix. Le jour où j’ai appris que mon fils aîné a été tué, j’ai eu très mal. Un mal qui s’est exacerbé lorsqu’après avoir fait le tour des hôpitaux, je l’ai vu à l’hôpital de Grand Yoff. Quand on a tiré le tiroir pour me le montrer, le sol semblait se dérober sous mes pieds. J’ai eu des frissons et c’était comme si on avait coupé une partie de ma chair pour la garder au frais. La veille des faits, qui se sont déroulés un jeudi, nous étions dans une maison aux Parcelles Assainies pour terminer un chantier de plomberie. A un moment donné, je lui ai suggéré qu’on rentre pour finir les travaux le lendemain, mais il m’a répondu qu’il valait mieux qu’on termine une bonne fois pour toutes. Vers 20 heures, il m’a invité à dîner dans un restaurant après qu’on a fini de s’acquitter de la prière du crépuscule. Par la suite, on a pris chacun un véhicule pour rentrer. Depuis ce jour, je ne l’ai plus revu vivant. Le lendemain vers 14 heures, alors que j’étais à un baptême, on m’a informé par téléphone que Ndiaga venait d’être tué. J’avoue que je pensais que c’était une farce. C’est lorsque quelqu’un m’a appelé une 2^efois que je me suis plié à la triste réalité. J’ai pris alors le chemin de l’hôpital de Grand Yoff, mais en cours de route, on m’informa que Ndiaga était à l’hôpital Fann. Quand j’y suis allé, je n’ai pas pu le voir. Ce n’est que le lendemain vendredi que j’ai pu voir sa dépouille. Je ne peux qu’avoir confiance en la justice de mon pays, mais j’avoue que je n’ai jamais considéré Barthélémy Dias ni comme un maire ni comme un député. Un député digne de ce nom ne peut pas tuer si froidement et avoir la conscience tranquille et ensuite, avouer qu’il a tué. Sous ce rapport, il n’y a pas lieu de polémiquer car l’aveu est la mère des preuves. Je ne veux pas non plus laver totalement mon fils et salir le fils d’autrui. Je n’ai jamais accepté qu’une personne fasse du tort à son prochain, même s’il s’agit de mon propre fils. Je ne suis pas un spécialiste du droit pour savoir s’il a été instrumentalisé par des gens, c’est à la justice d’éclairer la lanterne de l’opinion. Mais ce qui est avéré et constant, c’est que le meurtrier de mon fils n’est personne d’autre que Barthélémy Dias.»

AMARY GUEYE

ALIOU DIOUF, PERE DE FEU NDIAGA DIOUF : «Barthélémy Dias a tué froidement mon fils et l’a avoué»

AMARY GUEYE

BARTHELEMY DIAS MENACE : «Je démissionnerai de l’Assemblée nationale si…»

Après une matinée passée au tribunal hier pour les besoins de son procès l’incriminant dans la mort de Ndiaga Diouf, le député socialiste Barthélémy Dias a fait face à la presse, dans l’après-midi. A l’occasion, Dias-fils a ouvertement accusé ses frères de parti de comploter contre Khalifa Sall à travers sa personne. Le jeune socialiste a en sus dénoncé un «complot politique» qui viendrait de sa propre formation, le Parti socialiste (Ps).

Le maire de Mermoz/Sacré-Cœur souhaite la tenue du procès sur la mort de Ndiaga Diouf. Couvert par l’immunité parlementaire, le député socialiste demande à ses collègues de permettre à la justice de faire son travail. Barthélémy Dias a lancé un appel au président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, pour la levée de son immunité parlementaire qui constitue un obstacle pour la tenue du procès. «Je réitère ma demande auprès de mes collègues députés de lever mon immunité parlementaire afin que le procès ait lieu. Aujourd’hui, j’interpelle directement le président de l’Assemblée nationale», a indiqué Barthélémy Dias au cours d’une conférence de presse tenu hier après-midi. L’ancien responsable des Jeunesses socialistes qui rappelle avoir formulé, il y a deux ans, cette demande, n’exclut pas de rendre sa démission à l’institution parlementaire, à son corps défendant. «Maintenant, de deux choses l’une : Soit on lève mon immunité parlementaire, soit je démissionne de l’Assemblée nationale, bien que je ne sois pas dans les dispositions de le faire, parce que je suis élu par le peuple. Si je démissionne, mon remplaçant viendra du camp de l’Apr», a-t-il déclaré. Car pour lui, «il faut qu’il y ait ce procès, sans quoi, ma carrière politique sera compromise. Ce procès passe avant mon mandat».

Barthélémy Dias se défoule sur ses frères de parti

Sans aucun doute, Barthélémy Dias qualifie ce procès de politique. «Il n’y a que de la politique dans cette affaire. Il y a un complot politique qui cherche à m’éliminer de la sphère politique, parce que je dérange», a-t-il dénoncé. Poursuivant, Dias-fils assure que «c’est le même scénario avec le procès des jeunes socialistes, sur l’affaire du saccage de la Maison du Ps. Il y a une volonté de nous écarter politiquement et cela ne passera pas. Par la grâce de Dieu, nous prendrons part aux Législatives 2017 et nous gagnerons Dakar», a-t-il fulminé. Faisant la corrélation avec l’interpellation des proches de Khalifa Sall dans l’affaire du saccage de la Maison du parti, Barthélémy Dias voit une main des dignitaires socialistes. «Il y a des problèmes politiques au Ps qui se trouve être l’allié du pouvoir. Malheureusement, il y a certains responsables au Ps qui veulent donner des gages de soutien à Macky Sall, sans passer par les instances du parti. Toutes ces manigances ont été savamment calculées et l’objectif est de nuire à Khalifa Sall», a vitupéré le maire de Mermoz/Sacré-Cœur.

CHIMERE JUNIOR LOPY

ECLAIRAGE D’Un JURISTE sur le Jugement Barth : «C’est un procès politique, mais Barth’ pouvait être jugé»

C’est un procès particulier. Un procès à part. Objet de critiques et de commentaires. Mais les observateurs avertis restent constants qu’il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’un procès politique. Rien de plus. Juriste émérite, notre source qui requiert le couvert de l’anonymat du fait de sa position dans ce procès du maire de Mermoz/Sacré-Cœur étale les carences de cette procédure qui se veut plus politique que judiciaire.

«Il ne faut jamais oublier que le parquet est soumis à l’autorité du ministre de la Justice (Me Sidiki Kaba : Ndlr). Dans ce dossier, il faut faire une analyse politique et non juridique. Jusqu’à la vieille du procès (avant-hier : Ndlr), le Parti socialiste ne s’était pas exprimé sur l’affaire. Quand Serigne Mbaye Thiam (ministre socialiste de l’Education nationale : Ndlr) a fait une sortie pour soutenir Barthélémy et Ousmane Tanor Dieng (secrétaire général du Parti socialiste et collaborateur du chef de l’Etat Macky Sall). Pour ne pas faire éclater cette coalition, vu tout ce que le Ps représente, le Gouvernement a jugé beaucoup plus utile de poser la question de l’immunité parlementaire de Barthélémy Dias. Mais en enrôlant le dossier, le parquet qui a saisi le tribunal savait très bien que M. Dias est un député. Donc, il faut mettre cette demande de sursis à statuer dans le cadre de la politique. Il faut se rappeler que Barthélémy Dias s’était opposé aux agences publicitaires suite à l’affaire des panneaux. C’est le cabinet Me Mame Adama Guèye et Associés qui défendait les agences. Lors du procès, les avocats de Barthélémy Dias avaient soulevé cette même exception relative à l’immunité parlementaire du député. Le Parquet qui l’a soulevée hier s’était opposé à cette demande. Le tribunal avait tout bonnement rejeté cette exception. Au final, il a été jugé par ce même tribunal correctionnel. Barthélémy Dias pouvait bien être jugé hier, comme ce fut le cas dans l’affaire des panneaux publicitaires. C’est un procès politique, c’est pourquoi il y a toutes ces péripéties», argumente notre source.

MAKHALY NDIACK NDOYE