La campagne électorale s’est achevée hier à minuit. Les candidats passent le flambeau au peuple souverain qui reprend son pouvoir. Rétroprojecteur sur trois semaines qui ont tenu le pays en haleine, révélé des talents et montré, hélas, notre tréfonds violent.
Clap de fin pour une campagne électorale de 21 jours ! Trois semaines durant, les cinq candidats déclarés aptes à briguer le suffrage de leurs compatriotes par le Conseil constitutionnel ont parcouru des milliers de kilomètres, brûlé des milliers d’hectolitres de carburant, visité des centaines de hameaux dans les zones les plus reculées du pays, inhalé des tonnes de poussière, distribué, pour certains, des kilomètres de tissu, des centaines de milliers de t-shirts, casquettes et autres gadgets. Pendant trois bonnes semaines, ils ont goûté aux mêmes rigueurs que celles auxquelles font face, au quotidien, ceux dont ils convoitent le suffrage. Trois semaines au cours desquelles, ils ont fait face à des obstacles et dû déjouer des traquenards.
Pendant ces 21 jours, certains se sont fait découvrir une face cachée de leur personnalité. Ainsi, le Président sortant, galvanisé par les chansons en sa gloire de Youssou Ndour, a démontré des talents cachés de danseur. Un côté Pape Thiopett ou Ameth Thiou que l’on ne lui connaissait guère, lui réputé Niangal (sévère). La réélection vaut bien un tango. Le même Macky Sall a, à l’entrée de sa ville natale de Fatick, piqué un sprint d’une centaine de mètres qui lui a valu tous les quolibets sur les réseaux sociaux. Qu’importe !
L’autre qui a séduit par son style de campagne, c’est Madické Niang. Etiqueté «outsider» au départ, «pion» du pouvoir, l’ancien chef de la diplomatie sénégalaise en a surpris plus d’un. Alors que la campagne arpentait une pente dangereuse avec des actes de violences notés ça et là, Madické Niang, apôtre de la non-violence et de la positive attitude, a réussi à dérider l’atmosphère lourde de danger par sa bonne humeur contagieuse. Lui le juriste a aussi fait jurisprudence en tenant meeting, en pleine campagne, hors du pays, à Brescia (Italie), notamment. Ce qui va obliger le Cnra à mettre à jour son logiciel de régulation. Cet organe a refusé que l’équipe de la Rts l’y suive pour son temps d’antenne. Dans le fond, la tonalité de son discours a tranché d’avec la tunique qu’on voulait lui coller à la peau, celle de candidat du pouvoir. Pourtant, il aura été l’un des plus virulents contre le candidat du pouvoir.
Celui qui, sans être partie prenante de celle-ci, aura tenu la campagne en haleine, c’est bien Me Abdoulaye Wade. L’ancien président de la République et encore secrétaire général national du Pds a, pendant quelques jours, ravi la vedette aux cinq candidats. Chacune des sorties du «sixième candidat» lui a valu son pesant de «Unes» dans la presse quotidienne. Reléguant au second plan les qualifiés du Conseil constitutionnel. Ses déclarations sont scrutées, le moindre de ses déplacements surveillé.
A l’heure du bilan, Idrissa Seck peut, lui, se targuer d’avoir fait foule, phagocyté le plus de candidats recalés. Sur les 27 qui étaient sur la ligne de départ, plus de la moitié se sont alignés derrière lui. Ce qui, dans une course présidentielle, est un coefficient bon pour le moral. Idy dont personne ne vendait cher la peau après ses déclarations sur Makka et Baqqa a, également, confirmé ses talents de tribun.
Ousmane Sonko est resté sur les fondamentaux de ce discours qui l’a fait adopter, notamment, par la classe moyenne. Ses discours sur la gouvernance des ressources minérales, sur la corruption des élites et sur le système ont eu plus de tonus en ce temps de campagne, notamment vis-à-vis des franges alphabétisées, de la jeunesse et de la diaspora où il dispose d’un solide réseau d’aficionados. Signe que son style accroche, au-delà de la classe moyenne, même dans des zones considérées comme chasse gardée du Président sortant, le plus jeune candidat de la Présidentielle a drainé un monde fou sur son sillage.
Pacifique et réaliste, le candidat du Pur l’est. Son langage iconoclaste, sans populisme, rompt d’avec le discours convenu et ambiant. Interrogé sur la sortie du franc Cfa, Issa Sall refuse de promettre. En temps de promesses, cela ne fait ni bon chic ni bon genre. Mais, c’est son style à lui. De passage sur le pont de Faraféni, il surprend son monde en félicitant les Présidents sénégalais et gambien pour la réalisation de cette infrastructure. Dans un pays où la culture politique incline à ne dire que du mal sur ses adversaires, c’était la surprise du chef. Mais, pas de ceux qui connaissent le professeur, réputé racé, urbain et affable. Ce qui contraste avec les violences notées dans sa campagne où trois personnes ont perdu la vie, l’obligeant à suspendre sa tournée pour 48 heures.
La grande vedette de cette campagne, c’est le peuple. En trois semaines, il a recouvré la plénitude de sa souveraineté. Celle-là que les juristes définissent comme «la compétence des compétences».
Le dimanche 24 février, c’est ce peuple souverain qui va, dans le secret de l’isoloir, dire qui va le diriger pendant cinq ans. Une fois sur cinq années, le peuple devient seul maître à bord, le commandeur en chef.
senegal7
