Cheikh Sidya Bayo, président du CNTG :  » Si on ne met pas l’option militaire sur la table, Yaya Jammeh n’abdiquera pas

 

Comment avez-vous vécu la perte de votre père?

Cheikh Sidya Bayo : C’était très dur. Ma présence à Dakar le prouve et dans les heures qui viennent je serais à Touba me recueillir auprès de sa tombe. Je n’ai pas pu le faire il y a deux ans, mais là je le ferais. Après cela on va continuer le combat car la Gambie  est actuellement dans l’oeil du cyclone par rapport à un événement qui a été inattendu. Le président atypique de la Gambie Yaya Jammeh a fait une volte-face en moins d’une semaine par peur d’être poursuivi devant une Cour ou un Tribunal quelconque.

Vous avez été interdit de venir sur le territoire sénégalais depuis janvier 2015. Qu’est ce qui s’est passé?

Ce qui s’est passé tout le monde le sait. Mon interdiction de venir sur le territoire sénégalais était une décision politique. A l’époque j’avais subi une détention administrative et je n’ai pas été présenté à un Procureur. Comme on dit, les Etats ont des intérêts, alors j’ai du subir tout cela car en ce moment là je reconnais que je gênais dans l’échiquier des échanges et surtout des intérêts bilatéraux entre le Sénégal et la Gambie. J’ai pris la responsabilité politique de soutenir un groupe de soldats qui voulaient renverser le régime de Yaya Jammeh et aujourd’hui je n’ai aucun regret et surtout, je n’en veux pas au Sénégal car c’est une terre d’adoption pour moi.
Vous savez, quand on mène un combat comme celui d’un opposant, il faut accepter de recevoir quelques coups. Celui-là je l’ai accepté, même si cela m’a mis en dehors du ring à un moment donné, mais un vrai combattant revient toujours plus fort. Et l’histoire, en toute modestie, m’a donné raison car aujourd’hui le monde entier se rend compte qu’il fallait taper du poing sur la table pour faire partir Yaya Jammeh. La preuve, il vient de perdre les élections mais malgré cela il s’accroche toujours au pouvoir. Et je vous l’ai dit, il sait ce qui l’attend à la fin de son règne.

Etes-vous allé en Gambie depuis les élections? 

Non je suis pas allé en Gambie, mais vous savez on ne peut pas tout dire. Nous menons un combat dont on doit garder quelques secrets. En tout cas, sachez que je n’étais pas loin de la Gambie ces trois derniers mois.

Comment vous a-t-on notifié votre possibilité de revenir au Sénégal?

Vous savez, il y a des choses qu’on ne peut pas divulguer. Quand j’ai été expulsé, on n’a pas tout dit et je n’ai pas envie de tout vous dire pour des raisons étatiques et de confidentialité.
L’Etat marche avec des secrets. Je suis revenu dans le plus grand secret même si mon expulsion a fait beaucoup de bruit. Je tiens à honorer la mémoire de mon père dans un premier temps. Quand j’ai eu les résultats des élections en Gambie, j’ai immédiatement demandé aux autorités sénégalaises si je pouvais revenir et en moins de 48 heures j’ai eu notification d’une réponse favorable. Je préfère m’en arrêter là. Sinon d’ici la prière de vendredi, je serais à Touba.

Qu’est ce que la ville de Touba représente pour vous?

Je suis issu d’une famille 100% Mouride. Je me rappelle, mon père, quelques mois avant son décès, avait réuni toute la famille pour insister sur le fait de se faire enterrer à Touba. Et c’est ce qui a été fait. J’étais dans une position délicate, mais ma mère et mes soeurs avec un oncle à moi qui est par ailleurs mon conseiller politique, ont fait le nécessaire pour réaliser son souhait.
Ils ont organisé les funérailles et finalement il repose à Touba.
Touba représente beaucoup pour moi et la ville inspire confiance du point de vue spirituel et c’est une ville où Serigne Touba a beaucoup oeuvré dans sa vie pour rassembler, pour réconscilier mais aussi pour enseigner la religion et le pardon comme il se doit.
Aujourd’hui les liens ancestraux qui existent entre le Sénégal et la Gambien font que le président élu Adama Barrow veut aller se recueillir auprès des chefs religieux de cette ville sainte.
Après Serigne Touba il y a eu Serigne Fallou et au passage je voudrais remercier Serigne Moustapha Bara Mbacké. C’est la personne qui a accepté en prélude des funérailles que mon père soit enterré à Touba avec l’aval du Khalife général des Mourides.

Quelle analyse faites-vous de la situation politique actuelle en Gambie ?

Vous savez, je n’étais pas en Gambie alors ça ne serait pas très juste pour moi de me prononcer sur ce qui s’est réellement passé. Même si j’ai des informations, mais n’empêche je suis comme vous c’est à dire je suis à l’étranger.
Je pense que Yaya a des personnes autour de lui et les populations étaient terrifiées par le degré d’intimidation d’un régime militarisé. Il y a eu beaucoup de décisions arbitraires qui ont été prises durant les quatre dernières élections présidentielles. Cette fois-ci a été différente parce que nous avons changé de président de commission électorale indépendante. Alieu Momar Njie a pris ses responsabilités au soir du décompte des voix. Accompagné d’un groupe de soldats, on a assisté à la victoire des urnes et le peuple gambien a choisi le président élu Adama Barrow.
Cela a été une surprise pour tout le monde, mais plus pour Yaya Jammeh qui avait toujours des techniques douteuses pour s’adjuger la victoire finale.
Des voix se sont tout le temps élevées pour fustiger le déroulement des dernières élections, mais 2016 a livré ses secrets. Le peuple gambien s’est levé et est allé massivement voter dans un grand élan démocratique. Cela aurait dû amener Jammeh à faire passer d’abord la volonté du peuple après le reste suivra.

Quel rôle va jouer le Conseil national de transition gambienne?

C’est un organe de transition politique. En septembre 2012, quand j’ai créé le CNTG, je savais que ce jour allait arriver tôt ou tard. Je suis à la disposition du président élu et de son Gouvernement en formation pour voir comment on va contribuer. Si j’entre dans ce Gouvernement on va travailler ensemble si je n’y entre pas, je vais m’inscrire en contre pouvoir car c’est cela la démocratie.
Notre rôle primaire est de s’assurer que les institutions régies par le régime de Yaya Jammeh soient réformées quasiment dans on intégralité. Il y a énormément de violations des droits de l’homme en Gambie  et souvent cela émane des institutions de Yaya Jammeh. Je pense à la peine de mort instaurée alors qu’on n’a pas besoin de la peine de mort dans un pays aussi pacifique que la Gambie. Nous sommes un peuple de paix et on a montré à la face du monde qu’on ne veut plus de Yaya Jammeh même s’il veut s’accrocher au pouvoir. Mais nous allons le faire partir…

Comment comptez-vous le faire partir?

Vous savez, il y a une mission de la CEDEAO qui a été dépêchée à Banjul pour régler la transition, même si elle se heurte à un homme qui est capable du meilleur comme du pire et il l’a montré en moins d’une semaine. Il a menacé des Chefs d’Etat comme lui qui sont ses pairs.
Je pense que la gouvernance mondiale ne va pas être aussi patiente face à Jammeh. Après le temps de la discussion, il faut penser à le faire partir par la force, et pour cela je pense que la CEDEAO prendra les responsabilités nécessaires avec un mandat de l’ONU par le Conseil de sécurité, avec des alliés comme la France et le Sénégal en termes d’armées.

N’y a t-il pas d’autres solutions que l’option militaire?

Plus on avance, plus le champ est réduit. Si on ne met pas l’option militaire sur la table, Yaya Jammeh n’abdiquera pas. Et même l’action militaire ne sera pas facile, car il a dit aux médiateurs de la CEDEAO que s’ils se hasardent à l’attaquer, il est prêt.
Maintenant, le temps nous dira s’il est capable d’aller au bout de ses menaces.

L’option militaire et les morts…

Quand on parle de victimes collatérales, ce n’est jamais bon mais quand la démocratie est menacée, quand l’intégrité territoriale des deux pays est menacée, – car vos savez très bien que s’il y a une crise en Gambie, cela n’épargnera pas le Sud du Sénégal et je pense par là à la Casamance et une frange du MFDC avec son Secrétaire général qui avertit le Sénégal – alors il faut réagir fermement.
Je pense qu’à un moment donné, il faut répondre si on est opprimé. Il faut passer par la diplomatie, la médiation mais si cela ne passe pas, il faut passer à la force.
Ni vous ni moi ne pouvons certifier qu’il y aura des morts. C’est le terrain qui détermine ce qui va se passer. J’ai été militaire et je sais de quoi je vous parle.

Est-ce qu’après son départ, Yaya Jammeh devra être poursuivi?

Ça a été l’une des erreurs du président élu Adama Barrow et les membres de la coalition. On s’est empressé de parler et de communiquer sur le sort de Yaya Jammeh. Vous savez, c’est un phénomène divin le fait que Yaya Jammeh accepte les résultats des urnes. Alors il fallait d’abord se consacrer à cet acquis démocratique de Jammeh et se mettre à son niveau jusqu’à la passation du pouvoir. Nous le savions dictateur mais en ce moment là, il a été un « démocrate ». Il fallait se concentrer à çà, après le sort de Jammeh aurait pu suivre.
Ce qu’on lui reproche est énorme, mais en droit international il y a la présomption d’innocence. On dit beaucoup de choses mais les réalités peuvent être autres. Mais ce qui est sûr c’est qu’il aura des responsabilités sur tout ce qui s’est passé en Gambie. Des gens de son régime ont commis des crimes atroces et nous en avons les preuves.

S’il vous était donné de faire le portrait de Jammeh, que diriez-vous?

Yaya Jammeh est arrivé au pouvoir en sous-officier. Je crois il était lieutenant ou Capitaine. Il s’est par la suite octroyé tous les titres possibles religieux et militaire. C’est quelqu’un dont la mégalomanie lui est montée à la tête et son côté charlatan l’a rendu incontrôlable par la suite. Il s’est vanté en 2007 de pouvoir guérir le SIDA. C’est un personnage dont la bêtise humaine allait crescendo. Il faisait arrêter aux malades du SIDA leur traitement anti rétro-viraux pour leur donner des herbes médicinales.
Accepter sa défaite a été une fierté pour tous les gambiens et sa volte-face a tout transformé en une honte. Yaya Jammeh est un charlatan qu’il faut surveiller pour éviter à la Sénégambie de s’enliser. Le Sénégal doit intervenir rapidement avec un mandat car vous savez, de manière unilatérale le Sénégal ne peut intervenir de peur de violer les règles internationales, mais il faut montrer à Jammeh que le droit international existe et il faut l’utiliser contre lui.
Il y a urgence que l’ONU donne le mandat à la CEDEAO et le Sénégal n’aura pas le choix car il devra mener cette opération là. Il y a une autre urgence car Yaya Jammeh est une base arrière de djihadistes de l’EI, du Daesh et d’autres terroristes de la sous-région. Le Sénégal doit faire très attention.
Quand il y a eu les attaques à Bamako et en Côte d’Ivoire, les services de renseignements sénégalais avaient été avertis par les renseignements du monde sur de probables attaques contre le Sénégal. Yaya Jammeh y a joué un rôle car il a une vraie base armée de djihadistes dans son village natal de Kanilai. Ce n’est plus une blague, il faut aller très vite pour éviter que l’intégrité territorial ou le peuple sénégalais ne soit menacé. Je ne suis pas là pour faire peur mais pour plus de tranquillité, il faut aller chercher Yaya Jammeh.

Quels sont les souteneurs externes de Yaya Jammeh?

Il faut être très pragmatique quand on parle de la Russie. On sait que la Russie s’est engagée dans un combat sérieux en Syrie avec un problème multilatéral avec les français et les américains. Je crois que ce qu’il faut retenir et qui est important c’est que le chef d’Etat major de l’armée gambienne Ousmane Badji a signé il y a quelques mois, un accord de coopération militaire avec la Russie mais sur le plan logistique pour fournir de l’armement à Yaya Jammeh. Mais cela ne veut pas dire que la Russie viendra à la rescousse de Jammeh si toutefois il était attaqué. Je peux vous garantir que cela ne passera pas comme ça et que les russes ne le feront pas.
Maintenant, leur ministre des affaires étrangères a rappelé que Jammeh est un partenaire de choix car il répond à la volonté des russes. Il se retrouve dans la logique des russes.

Est-ce que vous vous êtes déjà entretenu avec Yaya Jammeh comme vous le faites là avec nous?

Je l’ai rencontré à trois reprises avant que je ne m’oppose contre lui. Je crois que c’était pendant la visite de Khadafi. J’ai été invité à un cocktail dinatoire où j’ai rapidement échangé avec lui et deux fois à Paris dans le cadre d’une prise d’informations sur la manière d’aider les gambiens de la diaspora.

Connaissez-vous Adama Barrow? A t-il les aptitudes de réussir sa mission?

Je connais plus ou moins l’homme car il est là dans l’opposition, dans le parti de Oussainou Dabo depuis une petite décennie. Je sais qu’il est très humble. C’est un homme d’affaires et il l’a dit lui-même, il est novice dans la politique car il n’était que trésorier adjoint du parti. C’est quelqu’un qui a un grand coeur et qui veut bien faire. La tâche va être immense mais il est bien entouré malgré quelques erreurs de communication dès le début. Il n’a pas eu une grande expérience dans la politique, mais cela peut bien se passer.
A l’arrestation de Oussainou Dabo il a accepté de se présenter quand beaucoup se sont éclipsés ou ont refusé de diriger le parti par peur. Il a réussi d’abord à unir tout le monde et gagner les élections par la suite.
Maintenant pour tourner la page Jammeh ce n’est pas à lui de le faire. Adama Barrow a été élu pour 5 ans même si l’accord avec l’opposition est qu’il reste 3 ans avant d’organiser des élections anticipées en ayant auparavant réformé toutes les institutions de Yaya Jammeh. En tout cas, moi comme d’autres, nous travaillerons à sa réussite.

Dans quel cadre comptez-vous collaborer avec lui?

Le cadre sera discutable et discuté. Pour le moment il est l’heure de consolider une nouvelle Gambie et de mettre en place une commission de réconsciliation nationale. Il faut redonner espoir et confiance aux gambiens.
Il y a beaucoup de matière grise en Gambie et en dehors qui ne s’est pas encore exprimée par peur de se heurter à Yaya Jammeh et à son entourage.
Aujourd’hui une nouvelle Gambie avec des technocrates et des intellectuels d’un autre niveau, je pense qu’on pourra emmener la Gambie à la place qu’elle mérite et l’inscrire dans le concert des nations.

Que doit faire Adama Barrow pour conserver les relations entre le Sénégal et la Gambie?

Adama Barrow a réussi quelque chose d’immense et il est bien entouré. Il saura quoi faire. Le Sénégal est un maillon fort en Afrique subsaharienne en matière de démocratie.
Je lui conseillerais de s’inspirer du modèle de démocratie du Sénégal et pour cela il y a des experts qui peuvent aider.  Lui-même il l’a dit dans l’une de ses sorties.