Général Cheikh Guèye, chef d’Etat major général des armées : «Des combattants sénégalais de Boko Haram et de l’Etat islamique envisagent de rentrer au bercail»
Le chef d’Etat major général des Armées parle. Le Général Cheikh Gueye a profité de la tribune du Forum sur la paix et la sécurité pour se prononcer sur le terrorisme.
Le Sénégal n’est pas à l’abri des menaces extrémistes
La zone Sahélo-sahélienne est marquée par une instabilité qui en fait un véritable terreau abritant des activités criminelles de toutes sortes. Le Sénégal n’est pas à l’abri de ces menaces extrémistes, même s’il n’a jamais été la cible d’actions terroristes d’envergure. Une lutte efficiente contre le terrorisme doit donc intégrer aussi bien le contexte international que les dynamiques internes qui laissent entrevoir l’existence de risques et de vulnérabilités. Les actions terroristes enregistrées dans le monde, ces dernières années, mettent en exergue la montée en puissance de groupes terroristes qui agissent en réseau. En réaction à leurs attaques, les pays développés, dont les intérêts sont menacés, ont mis en place des systèmes de riposte. Cette sanctuarisation des pays de l’Occident a poussé les terroristes à délocaliser leur lutte dans les territoires d’autres pays, qui n’ont pas suffisamment de moyens, pour s’attaquer aux intérêts occidentaux.
Situation au Mali et au Nigeria, un signal inquiétant
Le Sénégal, pays d’échanges à la jonction entre le monde arabo-berbère et le monde négro-africain, est sous la menace des extrémistes. Surtout du fait de sa place importante sur l’échiquier international. Dakar occupe, en effet, une place stratégique, du fait de sa proximité avec l’Europe et l’Amérique. Cet atout sur le plan géostratégique induit en même temps des vulnérabilités, sur le plan sécuritaire, exploitables par les réseaux terroristes. Il en est de même des positions prises par le Sénégal en faveur de la démocratie et de la libéralité. Cet ancrage dans le camp de la démocratie et de la liberté fait de notre pays une cible potentielle des milieux fondamentalistes. A cela s’ajoute l’instabilité qui sévit dans la région africaine. Ceci est un signal inquiétant pour le Sénégal. L’alerte est sonnée, avec l’installation des terroristes au Mali. Aujourd’hui, tous les Etats ayant une frontière avec le Mali, sont sous la menace. Comme le Burkina et la Côte d’Ivoire qui ont déjà subi des attaques. L’autre menace pour le Sénégal est Boko Haram. Ce groupe, depuis son allégeance à l’Etat islamique, a l’ambition d’étendre ses tentacules dans toute la région ouest africaine. Ce que nous prenons très au sérieux. D’autant plus que déjà, un groupe de Sénégalais dirigé par un certain Diokhané a pu bénéficier d’une formation de ce groupe terroriste. Ils envisagent de créer une cellule au Sénégal.
Le sud libyen, espace d’intenses trafics d’armes
Une autre menace nous vient de la Libye où l’Etat islamique est anéanti. Face à cette pression dont ils font l’objet, les terroristes peuvent se replier et mettre le Sahel davantage en danger. Il s’y ajoute que les nombreux Sénégalais qui étaient dans ces pays pour des raisons économiques pourraient être recrutés par l’Etat islamique. C’est d’autant plus préoccupant que le sud libyen est devenu un espace d’intenses trafics d’armes. En outre, il est avéré que les Sénégalais qui sont dans les théâtres syriens et iraquiens pourraient retourner au bercail pour mettre en pratique leur savoir-faire. C’est dire que notre pays mesure à sa juste valeur la menace globale et transnationale que constitue le terrorisme qui ne connaît pas les frontières. Ils sont en cela, aidés par la mondialisation qui accroît les échanges et la porosité des frontières, favorisant les migrations clandestines.
Les confréries : un rempart contre la montée de l’extrémisme
Les terroristes peuvent en effet profiter de cette situation pour s’introduire au Sénégal. Le contrôle des postes frontaliers est aussi rendu difficile par les accords de libre circulation des personnes et des biens. Dès lors, il s’impose la nécessité de réfléchir sur comment concilier ces deux logiques qui semblent paradoxales. Dans l’énumération des menaces, on ne saurait taire les dynamiques internes qui pourraient constituer le lit du terrorisme. Avec une population de plus de 90% de musulmans, le Sénégal est très islamisé. Malgré ses fortes racines dans la religion musulmane, la société reste mature et tolérante. Ce qui garantit une cohabitation pacifique entre les différentes religions. La présence des confréries constitue un rempart contre la montée de l’extrémisme et garantit la pratique d’un Islam apaisé et tolérant. Cette exception sénégalaise se justifie, entre autres, par le rôle des chefs religieux qui ont des connaissances solides de la religion islamique. Leur leadership a jusque-là préservé notre pays. Mais au fil du temps, cet Islam a subi des influences du fondamentalisme, avec l’éclosion de mouvements islamiques qui considèrent les confréries comme relevant du «bida (interdit par la religion)». Certains d’entre eux se singularisent par des discours religieux très radicaux… Mais à ce jour, ils ne sont pas encore passés à l’acte. S’y ajoute la montée en puissance du Chiisme dans la partie méridionale du pays. Le conservatisme religieux pourrait aller crescendo, surtout dans le monde rural, du fait de la pauvreté. Comme le fait remarquer le président de la République : «Le terrorisme prospère là où les théories de propagande du djihadisme prennent racine…» De ce fait, les populations, pauvres ou victimes d’exclusion, sont les plus vulnérables.
MOR AMAR (STAGIAIRE)
