« International Budget Partnership Sénégal » : Le directeur Maleine Amadou Niang à cœur ouvert 

Dans un entretien accordé à Liberation et repris par Senegal7, le directeur général d’IBP Sénégal Maleine Amadou Niang, a abordé plusieurs questions notamment celle liée à la présidentielle et à la demande sociale.

Libération : Pouvez-vous nous présenter IBP Sénégal ?

IBP Sénégal est ONG qui travaille sur les questions relatives aux finances et politiques publiques. Nous avons deux instruments sur lesquels nous intervenons. D’une part, la fiscalité, constituée des ressources collectées par l’Etat et d’autre part, les dépenses publiques avec un intérêt particulier pour les questions liées à la vulnérabilité, aux quartiers défavorisés, à la ruralité, aux personnes handicapés, aux femmes… Bref tous ces groupes qui sont dans la vulnérabilité et la pauvreté. Le moyen d’action que nous avons, c’est la formation, les renforcements de capacités mais également un mécanisme de subvention à des organisations de jeunes, de femmes, des mouvements et associations pour leurs permettre d’avoir leurs propres projets en termes d’engagement citoyen, de redevabilité et de dialogue sur les politiques publiques. A quelles fins ? Que les politiques soient la conséquence des besoins exprimés par les citoyens.

Vous êtes en collaboration avec plusieurs collectivités territoriales, peut-on savoir les domaines d’interventions ?

Nous travaillons avec ces collectivités territoriales sur le domaine des compétences transférées parce que la manière dont l’Etat gère les ressources publiques notamment les questions relatives au capital humain qui nous intéresse : l’éducation, la santé et les questions de jeunesse. Mais, au Sénégal, il y a des problèmes qu’il faut résoudre définitivement. Les compétences transférées ne sont pas accompagnées d’assez de ressources. La collectivité territoriale qui est le niveau le plus proche du citoyen est souvent dans l’incapacité de répondre de manière satisfaisante aux besoins exprimés par les citoyens. C’est pourquoi, nous accompagnons les collectivités en deux temps : d’abord, dans la mobilisation des recettes fiscales et ensuite, dans la priorisation des dépenses liées au développement du capital humain.

Et comment se fait le partenariat avec les communes ?

Le partenariat porte sur des besoins exprimés par les populations dans les communes dans lesquelles nous intervenons. Nous avons cinq (5) Hubs à savoir le Hub Nord dont la base est à Matam, le Hub Sud avec Ziguinchor comme base, le Hub Bassin arachidier, le Hub Sénégal oriental où nous travaillons dans des zones comme Bakel. Dans chaque localité, on contextualise nos interventions. Nous travaillons autour du potentiel de la zone en rapport avec les collectivités territoriales et les groupes de citoyens organisés. Avec les collectivités territoriales et les populations, on définit des besoins de collaboration en termes de renforcement de capacité, de formation et surtout, de plaidoyer envers les autorités centrales. Aujourd’hui, l’intérêt qu’on a à travailler avec des villes comme Guédiawaye notamment la commune de Wakhinane Nimzatt, c’est que ce sont des communes qui sont déjà en avance sur des questions de lutte contre les inondations même s’il y a un débat autour du transfert des compétences autour de l’assainissement mais également des communes qui sont aujourd’hui intéressées par le financement du secteur de la santé. A Matam, on sera intéressé par la question minière. Dans le bassin arachidier, on est intéressé par l’agriculture et la santé en rapport avec les changements climatiques.

Ces derniers temps, le Sénégal a traversé une crise, si on peut le dire ainsi, cela ne vous a pas affecté sur le plan des projets qui devraient être réalisés ?

La crise qui a été traversée par le Sénégal ces derniers temps a été un obstacle de taille pour le développement du pays. Cela a placé le pays dans l’incertitude. Tout le monde en a souffert : des familles éplorées, des biens détruits, une vie économique au ralenti, un flou juridique et institutionnel … Cette situation de doute a ralenti l’activité économique, elle a découragé des décisions d’investissement : cela a affecté tous ceux qui payent des salaires, qui ont une affaire naissante, qui perçoivent un revenu journalier…. C’est la raison pour laquelle, je dis qu’il est important qu’on pense à l’après élection présidentielle et qu’on interpelle le futur Président mais avant cela, les candidats sur les vraies priorités de l’heure parce que jusqu’à présent, il y a un brouillard sur la destination économique et sociale du Sénégal. Ce qui me rassure en partie c’est que les candidats ont démarré leur campagne par une présentation de leurs programmes. Est-ce à dire que le signal lance par les populations a été compris ? Le prochain Président est sérieusement attendu sur le pouvoir d’achat, la question de l’emploi, les défis liés à l’urbanisation et aux inondations, la compétitivité de notre économie. Parallèlement à ces questions, se pose la question structurelle de l’encadrement de la jeunesse, la protection des enfants et l’autonomisation des femmes. Il faut combattre la culture des privilèges, raccourcis et opportunités faciles. Les sénégalais veulent se sentir égaux devant la loi, devant le service publique et surtout devant l’accès aux opportunités économiques. C’est tout le sens de la demande sociale.

Personnellement, qu’est-ce que cette crise vous a coûté ?

Cela a entraîné des annulations de financements, la crise a réduit nos capacités à accompagner les mouvements sociaux ou les coalitions. Nous avons été impactés parce que nous n’avons pas pu accompagner de la manière dont nous le faisions les années passées les organisations. Nous n’étions pas aussi présents que nous le voulions auprès des organisations. Les projets sur lesquels on avait déjà commencé à travailler avec beaucoup de communes et de populations se sont retrouvés à l’arrêt et nous avons vu également beaucoup d’espoir qui avaient été fondés dans des programmes publics ont été dissipés. Nous avons vu certains problèmes se creuser.

Vous intervenez également sur les questions d’inondations, que proposez-vous pour régler définitivement cette problématique ?

La question des inondations est liée à beaucoup de facteurs. Avec les changements climatiques, nous avons des inondations qui se passent même dans les villes les plus développées, mais cela n’est pas une excuse. Je pense que l’un des défis de notre temps, c’est la question de l’urbanisation. Il y a de moins en moins d’espaces, tant pour les espaces que pour les habitations. Le Sénégal a un modèle d’assainissement en réseau dont l’extension et l’entretient sont couteux. Il y a des milliards qui sont investis et les situations sont de plus en plus inquiétantes. Il y a aussi un problème de coordination et d’efficacité. Un problème de priorisation et de budgétisation. Les grandes questions économiques et sociales doivent être des options fermes, intergénérationnelles, suffisamment financées et efficacement coordonnées. Elles doivent être appréhendées de manière holistique. Les inondations sont liées au cadre de vie, à l’assainissement, au réseau routier, à nos manières de vivre… La restructuration urbaine est importante, l’installation des personnes dans des zones qui ne sont pas inondables est important, les modèles numériques de terrains disponibles aujourd’hui doivent guider l’action des services de l’Etat mais également le choix des lieux d’installation des communautés. Il faut aussi que les Sénégalais puissent avoir des programmes de logement décents. On doit prendre des mesures fortes, concertées, multisectorielles mais avec un objectif partagé qui est d’en finir définitivement avec certaines questions.

Dans quelques jours, les Sénégalais iront aux urnes pour élire un nouveau Président de la République. Nous avons 19 candidats, quel regard jetez-vous sur ces 19 candidats ?

Ce qui m’intéresse, c’est les programmes des différents candidats. Cette année, la campagne électorale est très courte, donc moins de temps pour les citoyens pour apprécier ce que diront les différents candidats, moins de temps pour décortiquer les programmes. L’urgence, c’est que les différentes couches de la population prennent le temps durant cette campagne d’exprimer leurs priorités mais également, d’écouter attentivement les candidats. Il faut exiger chaque fois qu’on les rencontre, de répondre de la manière la plus concrète possible à nos problèmes. Une fois l’élection terminée, nous devrons urgemment retourner au travail et nous pencher sur les priorités de l’heure et reconstruire notre économie et notre société.

Le Sénégal dispose de ressources comme le pétrole et le gaz, que préconisez-vous pour la gestion ?

La question du pétrole et du gaz doit nous amener notamment, nous qui sommes des acteurs de la vie publique, associations, secteurs privé, ONG, Etat, collectivités territoriales à plus de recul et à plus de responsabilité mais aussi à plus d’engagement pour la bonne utilisation de ces ressources pour aujourd’hui et pour demain. Les générations de demain doivent avoir accès à des opportunités que nous n’avions pas. Des ressources telles que le gaz et le pétrole lorsque bien gérées et utilisées peuvent mener à la transformation d’une société. Elles peuvent permettre au Sénégal de changer de face en un clin d’œil. Ce sont des ressources qu’il ne faut pas spolier, d’ailleurs aucune ressource ne doit être spoliée. Il faut les utiliser pour transformer la face de notre pays. Si nous ne sommes pas prudents et responsables dans notre manière d’aborder les questions quel que soit notre bord, nous risquons de nous retrouver encore une fois à être en train de gérer d’autres formes de crises.