C‘était il y a exactement 6 ans, ce jour. Le voeu des jaloux qui avaient tenu à casser celui dont ils ne supportaient plus l’image contraire à la leur, abjecte, qu’il leur renvoyait, est sur le point de se matérialiser, ce 31 Juillet, 2019, quand, en trombe, le fourgon de la police démarre, depuis la cave du Tribunal de grande instance de Dakar. Cap vers sa principale prison. La cause est entendue.
En cet après-midi, qui s’apprête à céder la place à la tombée de la nuit, les derniers rayons d’un soleil plus toniques quelques heures avant se sont peu à peu éteints. Et l’astre a déjà presque fini sa course pour se jeter dans les bras de l’océan Atlantique.
Les bruits de la ville pourtant sourds, vomis des bureaux et commerces alentour, portés par des badauds et travailleurs pressés de rentrer dans les zones résidentielles, pour y dormir, n’ont aucun effet sur le vromissement de cette gimbarde que seuls des grillages d’un fer rouillé distinguent.
Peu avant 18 heures, à la queue leu leu, une dizaine de forçats en puissance étaient sortis du bâtiment bunkerisé, ultime étape du chemin liant le tribunal à la prison, que l’on eût crû sorti, surréaliste, des restes de la nazi-sphère.
Nous sommes sur les flancs du centre de la capitale Sénégalaise. Cette petite troupe qui s’avance vers l’entrée du car ne rayonne pas. La plupart ont la tête baissée. Des juges viennent de leur signifier qu’ils sont retenus par la justice.
J’en fais partie. Ce jour-là, par défiance ou par curiosité, malgré les hésitations de l’agent pénitentiaire qui semblait se demander s’il en avait le droit, j’avais tenu à lui tendre les deux mains pour qu’il me passe les menottes.
Tous les deux, nous épiant de regards furtivement échangés, nous savions qu’il violait plus que la loi, la morale. Telle est la réalité de l’univers dans lequel je baigne. S’y faire devient le réflexe instinctif qui m’habite, pris d’une volonté d’en vivre toutes les…injustices.
En innocent, j’avais cependant voulu sentir, pris d’une grande excitation, le poids de cet instrument privatif par excellence de libertés.
Les menottes forment une chaîne retenant les nouveaux inculpés, les uns les autres, sans aucune chance de pouvoir s’en échapper.
Plus qu’un boulet, c’est un goulot et un goulag qui s’offrent comme uniques perspectives tandis que je scrute la posture de mes voisins à l’intérieur du car. Un calme étrange y règne. Comme si une résignation totale en formait la trame. Qui, à cet instant, peut deviner que le moment est proche pour le départ vers la tristement célèbre maison carcérale ? Personne.
Aussi bien, la surprise est réelle lorsque, d’un strident crissement de pneus, sans mot dire, comme pour sacrifier à un rituel routinier, alors que le groupe encadré par des agents du tribunal s’était installé sur les sièges arrières, secs, du fourgon, le chauffeur, en tenue de policier, fit un mouvement vif pour entamer sa marche vers la prison de Rebeuss.
De jour, je connaissais, de longue date, et de mémoire, ce quartier bon-enfant, populaire malgré son apparente pauvreté où l’on voit des foules bigarrées s’occuper en moults activités autant commerçantes, mécaniques, sociales que ludiques. Rien de ses nuits agitées ne m’était non plus inconnu…
Rebeuss s’est incrusté dans ma tête depuis mes jeunes années d’élève lorsque la lecture des articles relatant son quotidien, diurne et nocturne, alimentant la chronique la plus célèbre du seul quotidien national d’alors, le Soleil, sous la remarquable plume du plus héroïque journaliste spécialisé dans les faits divers, les divers faits, qui n’était autre qu’un certain Edou Corea, moblisait l’attention et la curiosité des chaumières et cafés à travers tout le pays.
On y contait ses nuits torrides, les sagas des femmes de joie, les éclats de voix des personnes passablement emêchées, et on pouvait même entendre les bris des tessons de bouteilles, quand les querelles rendaient invivable ce coin dénivelé, avec une pente plongeante, qui avait fait de Rebeuss ce que le grand journaliste d’alors qualifiait de secteur le plus mal famé de toute la ville.
Dans le fourgon policier qui déchire sa voie, ce sont des souvenirs de lecture qui font remonter dans ma tête la geste restée légendaire de ce quartier. Il me faut y puiser davantage pour sentir que malgré sa sulfureuse réputation, Rebeuss n’a pas pu résister à la percée de la religion. Si on y voit pas d’église, en raison sans doute de la proximité de la grande cathédrale de Dakar, des minarets de mosquées y sont parsemés vers lesquels se tournent les regards lorsqu’à intervalles réguliers des voix ondulantes de muezzins y appellent, dans un halo lointain, à la prière.
En moins de dix minutes, à tombeau ouvert, d’un coup de frein brutal, le fourgon s’est arrêté à l’intérieur de cette prison dont le nom rime désormais avec celui du quartier qu’il résume.
Je suis arrivé à la prison. Bâtisse jaunâtre, signe que depuis sa construction en 1919, elle a vieilli.
Par jalousie de voir ma liberté s’exprimer et de me sentir épanoui, deux criminels, Macky et Malick Sall, servis par un procureur, Bassirou Guèye, et un juge d’instruction, feu Samba Sall, ont donc décidé de me faire payer ce panache qui leur fait mal.
Il faut être fort de caractère, profondément croyant, voire magnanime, pour accepter de subir le déploiement d’un État dévoyé, capturé, illégal. Subir stoïquement, quand on voit ses propres droits constitutionnels être écrasés. Surtout que, dehors, le public travaillé au corps, ses méninges pris d’assaut par la propagande publique et celle d’une presse corrompue, vendue, n’a eu de cesse de fomenter un narratif aux antipodes des faits qui se jouaient. Il fallait justifier la mise hors d’état de nuire de la cible que les services pénitentiaires venaient de recevoir.
Il n’est point besoin de revenir sur les 53 jours d’une détention que rien ne pouvait légitimer. Ni des moments volontairement crasseux vécus au fond d’une taule avec une centaine de détenus dont l’essentiel étaient de droit commun. Encore moins de restituer le sort connu de milliers de prisonniers, jeunes, adultes et vieux, transformés en déchets sociaux et installés dans une culture de la marginalité, dangers privés formatés à vivre le reste de leurs vies en criminels endurcis.
La prison Sénégalaise n’est, de fait, pas un espace de rédemption ni de réhabilitation des sociétaires qui y entrent.
Six ans après y avoir passé ma première nuit, j’en garde le souvenir de l’éffondrement complet de l’état de droit.
Les auteurs de la criminalisation de la société, entre agents judiciaires et sécuritaires, juges et procureurs, acteurs politiques nantis du pouvoir d’Etat, individus monnayés pour promouvoir les anti-valeurs Illibérales, bref la faune des ennemis de la démocratie qui ont créé un tel écosystème continuent de se la couler douce.
Diomaye Faye, on en dit quoi ? Ou êtes-vous leur allié?
Adama Gaye
Ancien directeur de la communication de la Cedeao, ex-détenu politique illégalement emprisonné et auteur d’Otage d’un Etat (Éditions l’Harmattan à Paris).
Ici devant la prison de Rebeuss quelques-jours après ma libération.
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