Depuis fin décembre 2017, près d’une dizaine d’attaques ont eu lieu dans la province de l’Ituri dans le nord-est de la République démocratique du Congo. Ces attaques visent des membres de la communauté Hema, présents dans la province de Djugu. Les ONG font l’état de près d’une centaine de morts.
Depuis la fin du mois de février, ces attaques se sont intensifiées. Dernière en date, le 13 mars 2018, où 40 personnes au moins ont été tuées selon les autorités, dans des villages de la chefferie de Bahema-Nord située à environ 60 km au nord de la ville de Bunia, chef-lieu de la province d’Ituri.
Les habitants des chefferies de Djugu, territoire de l’est de l’Ituri, sont parmi les témoins de ces massacres. Ils ont vécu, depuis fin décembre 2017, un enchaînement d’attaques ayant conduit au déplacement de plusieurs dizaine de milliers de villageois vers le sud de la province. Le 1er mars 2018, notamment, un massacre a été commis dans le village de Maze. La rédaction des Observateurs de France 24 a reçu de nombreuses images de ce massacre. Sur ces photos, on peut voir des corps mutilés, des crânes transpercés par les flèches, des corps calcinés…
Michel Y. (pseudonyme) est un habitant de la chefferie de Ndo Okebo, un village de l’ethnie « Hema », dans la province de Djugu en Ituri. La nuit du 26 au 27 février 2018, il a assisté à l’arrivée d’une trentaine d’assaillants venant des villages voisins. Réfugié dans la brousse avoisinante, il a assisté au massacre de son village.
C’était dans la nuit du 26 au 27 février. À partir de minuit, de jeunes hommes ont commencé à toquer violemment aux portes des cases. Ils sont venus armés de fléchettes, de machettes et de fusils bricolés. Ils étaient bien équipés. Pour plusieurs d’entre nous, leurs visages semblaient familiers mais la nuit nous empêchait de vraiment les distinguer. Pour certains de mes voisins, il s’agirait d’habitants de villages voisins de Burkuma Tchele et Burkuma Afa, qui sont des villages Lendus ».
Notre Observateur fait référence au conflit foncier qui a opposé, de 1999 à 2004, les Lendu, communauté d’éleveurs, et les Hema, communauté d’agriculteurs. Les combats avaient fait plus de 60 000 morts et 600 000 déplacés selon Human Rights Watch, avant l’intervention de la force européenne Artemis en 2003.
Les images du massacre de Maze dont est rescapé notre Observateur que nous avons reçues sont insoutenables et nous avons choisi de n’en publier qu’une seule, floutée.
Une fois les maisons pillées, ces assaillants se sont attaqués aux hommes qu’ils ont placés au centre de la place du village. Ils ont alors commencé les décapitations, ont coupé des membres. Puis, ils ont incendié les maisons. Ils ont pillé les boutiques, les pharmacies et l’école du village. J’ai réussi à me réfugier parce que j’avais deux portes dans ma maison. J’avais entendu les cris dans les maisons voisines et je suis passé par la porte arrière de la maison pour fuir avec certains membres de ma famille. Neuf personnes de ma case n’ont pas réussi à s’échapper et ont perdu la vie. Pour ma part, je me suis caché dans la brousse. Ils sont partis vers 4h40 du matin. »
Après le départ des assaillants, notre Observateur à participé, à l’aube, au décompte des victimes. Selon lui, 42 personnes ont été tuées et 80 maisons détruites, un bilan confirmé par le gouverneur de l’Ituri Penna Mbaka.
Comme Michel Y., Hamadi (pseudonyme) a été témoin d’un autre massacre dans la chefferie de Bahema Nord (à quelques kilomètres de Djo Odeko) le 1er mars 2018, qui fait près de 40 morts d’après les chiffres des ONG. Il décrit le même mode opératoire mais se veut plus affirmatif sur l’identité des assaillants.
Les assaillants sont arrivés vers 9 h du matin. Ils parlaient le même dialecte que nous et étaient bien armés. Il ne s’agissait pas d’une bande de jeunes délinquants comme on a essayé de nous le faire croire. Ce sont des Lendus.
À Bunia, l’arrivée permanente des rescapés
Ces violences dans le territoire de Djugu ont entraîné un déplacement majeur de la population du Djugu vers la ville de Bunia, située au sud-est de la province.
À leur arrivée à Bunia, les déplacés sont pris en charge par certaines organisations internationales dont essentiellement Médecins sans Frontières. L’ONG s’occupe des nombreux rescapés blessés et y gère des consultations en santé mentale. Elle a installé deux hôpitaux dans la région : à Jiba (zone Lendu), et à Drodro (zone Hema). Selon l’ONG, près de 200 000 personnes auraient quitté leur village.
« Nous ne voulons pas rester ici. Notre prochaine étape c’est l’Ouganda »
Gracian (pseudonyme), est rescapée du massacre de Bahema Nord. Elle est arrivée il y a deux semaines à Bunia.
Lorsque nous sommes arrivés, il y avait déjà un grand nombre d’exilés de villages voisins à Bahema. Certains avaient construits leur propre case, d’autres s’étaient installés dans les camps mis en place par MSF. Aujourd’hui, beaucoup de spéculations sur l’identité des assaillants circulent dans les camps. Tout le monde n’est pas toujours d’accord, mais ce qui est sûr c’est que la plupart d’entre nous ne voulons pas rester ici. Notre prochaine étape c’est l’Ouganda. »
Parmi la dizaine d’habitants de Djugu contactés par la rédaction de France 24, la plupart restent pessimistes, et envisagent de quitter le pays. D’après le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), près de 42 000 réfugiés congolais auraient par ailleurs débarqué depuis janvier sur les côtes ougandaises, de l’autre côté du lac Albert, et 50 000 seraient encore installés dans les camps de Bunia.
« On s’empresse de donner une coloration interethnique à tout conflit en RDC »
Chuvi Bia est journaliste pour la radio protestante RTK de Bunia. Pour lui, il ne s’agit pas vraiment d’une résurgence du conflit interethnique qui avait pris fin en 2004.
Jusqu’à présent, l’identité des assaillants n’a pas été confirmée. Même si vous posez la question aux déplacés, les versions divergent. Certains sont convaincus qu’il s’agit de membres de communautés Lendus et d’autres parlent de mercenaires infiltrés dans les villages voisins. Leur but serait d’attiser la haine et de faire accuser le peuple Lendu.
Une autre version met en cause le gouvernement de Joseph Kabila. Suite aux attaques, le gouvernement a déployé quelques membres des forces armées ainsi que la police, mais cet effort n’est pas suffisant pour les habitants de l’Ituri. Certains sont persuadés que le président Joseph Kabila chercherait à attiser la haine entre les deux communautés afin de repousser l’échéance électorale et s’imposer par la suite comme le pacificateur.
[Depuis décembre 2017, la République démocratique du Congo se trouve dans une impasse politique : le président Kabila, dont le mandat est terminé depuis le 20 décembre 2016, s’accroche au pouvoir, alors que la Constitution actuelle lui interdit de se représenter. L’élection devait être organisée avant la fin de l’année 2017, mais elle a été repoussée à décembre 2018. Plusieurs manifestations, violemment réprimées ont eu lieu pour contester ce décalage.]
Il faut également savoir que ces attaques sont différentes de ce que nous avions pu vivre entre 1999 et 2004 lors des affrontements interethniques entre Lendus et Hema. A l’époque, les démarcations de combat étaient claires, et chaque communauté attaquait l’autre. Aujourd’hui, les Lendus n’ont fait aucune déclaration.
Malheureusement, on s’empresse de donner une coloration interethnique à tout conflit en RDC. Cet automatisme empêche de comprendre les raisons tant politique qu’économiques qui poussent à ces attaques. N’oublions pas que la région de l’Ituri est particulièrement marginalisée, tout en ayant un sol de mines très riche. Aussi, l’épidémie du choléra se diffuse à nouveau. Ce sont tant de facteurs qu’il nous faut prendre en compte
avant de sauter sur des conclusions hâtives »
Notre rédaction a essayé de joindre le gouverneur de la province d’Ituri Abdallah Pene Mbaka, ainsi que le porte-parole du gouvernement congolais Lambert Mendé. Nous n’avons pas eu de retour de leur part. Nous publierons leurs réponses si elles nous parviennent.Notre rédaction a essayé de joindre le gouverneur de la province d’Ituri Abdallah Pene Mbaka, ainsi que le porte-parole du gouvernement congolais Lambert Mendé. Nous n’avons pas eu de retour de leur part. Nous publierons leurs réponses si elles nous parviennent.
