Unité impossible, intrusion de Wade dans la campagne, phénomène Sonko, etc. Beaucoup de facteurs ont été à l’origine de la déconvenue de l’opposition. Essai d’explication.
L’élection présidentielle, c’est comme une course de fond. Il ne s’agit pas simplement de courir ; il faut partir à point. Cette maxime olympique, l’opposition ne l’a apparemment pas assimilée. De 2012 à maintenant, elle a multiplié les obstacles à sa propre victoire. De l’autre côté, Macky a usé de tous les leviers à portée de main pour rempiler en 2019.
L’impossible unité
Jamais le Sénégal n’a connu autant de regroupements en un temps si court. Le dernier en date aura été le C25, sorte de club de frustrés du parrainage où l’on tirait à hue et à dia avec, en arrière-fond, un discours dangereusement contre-productif et démobilisateur. Auparavant, beaucoup de regroupements ont vu le jour. Sans lendemain.
La traque aux biens mal acquis
Cette procédure, parée des oripeaux de la bonne gouvernance, aura été, dans les faits, une arme de destruction massive contre la puissante opposition du Pds dont certains disaient qu’elle était la plus riche d’Afrique. Des «milliardaires», cités dans la liste du Procureur spécial, sont tenus à carreau. L’alternative est simple : ceux qui transhument bénéficient d’une «amnistie», ceux qui refusent sont traqués, pourchassés. Conséquence : leur temps, ils le passaient entre la section de recherches de la caserne Samba Diéry Diallo et la commission d’instruction de la Crei que dans la remobilisation des troupes. Leurs comptes bloqués et leurs biens confisqués, beaucoup parmi les anciens camarades de Wade n’avaient d’autre choix que de lever le drapeau blanc et déclarer allégeance à Macky qui n’a jamais caché son objectif : «Réduire l’opposition à sa plus simple expression.»
La bataille par procuration
En prison ou en «exil», Khalifa Sall et Karim Wade cristallisent, paradoxalement l’opposition. Le parloir de Rebeuss est devenu le lieu d’où partent les mots d’ordre. Ce n’est quand même pas d’une prison que se font les grandes révolutions. Parallèlement, le mouvement karimiste s’agglomère autour de son leader qui multiplie les annonces de venue qui ne sont jamais tenues. Ce qui finit par démobiliser les troupes. A part quelques saillies de Barthélémy Dias ou de Bamba Fall, écroués à Rebeuss sous le prétexte d’une querelle interne au Parti socialiste, la mayonnaise ne prend pas. Khalifa et ses lieutenants en prison, Karim en «exil», la voie était désormais libre.
La donne Wade
Au sortir de toutes les élections organisées depuis 2012, le Pds s’est imposé comme le leader de l’opposition. Sauf que, cyniquement ou pas, Wade décide de ne pas surfer sur cette donne. Alors que Karim est en prison, son père convoque un congrès pour en faire le candidat du parti. Les mécontents sont priés d’aller voir ailleurs. Souleymane Ndéné Ndiaye, Aliou Sow, Modou Diagne Fada et tant d’autres identités remarquables ne se le font pas répéter. Une guerre interne au Pds pour la présidence du groupe parlementaire fragilise les derniers fondements de la bâtisse libérale. Wade déroule sa stratégie du «mon fils ou rien». Les symboles du parti tombent, les uns après les autres. Même le carré des fidèles prend le large. Pape Samba Mboup et Farba Senghor sont bannis par le Pape du Sopi et tombent dans les bras de Macky. «Candidat de substitution», pour pallier l’inéligibilité du fils biologique, Madické subit les laves de la «géhenne promise aux mécréants» pour paraphraser Cheikh Hamidou Kane dans L’aventure ambiguë. Tout cela favorise le pouvoir qui se fait sa propre lecture : tout ce qui affaiblit l’adversaire me renforce. Et pendant ce temps, Idy qui devait jouer le rôle de roue de secours s’emmure dans un silence. Plus présent dans les airs ou à Saly où il possède une résidence que sur le terrain, il réussit la prouesse de se faire oublier. Sa réapparition lui aura été fatale. En ce sens qu’elle sera le cadre d’une malencontreuse déclaration sur La Mecque. Dans un pays à 95 % musulman, cela chante faux. En opération déminage, il affiche publiquement sa nouvelle allégeance mouride. Conséquence : ce qu’il gagne à Touba, il le perd à Tivaouane.
Le phénomène Sonko et l’effet boomerang
Personne ne l’avait vu venir. Ou presque. D’anonyme Inspecteur des impôts dirigeant un syndicat, Sonko franchit allègrement la frontière en créant son parti politique, Pastef. Ses thèmes sur la fiscalité, la bonne gouvernance, la gestion des ressources minéralières charment le microcosme dakarois. La moindre de ses déclarations est multipliée à l’infini via les réseaux sociaux où il compte un nombre important d’«amis» et de followers. Seulement, sa dernière sortie sur un détournement présumé de 94 milliards lui est revenue à la figure avec cette sournoise sous-affaire de rétro-commission où il est mêlé. Le chantre de la bonne gouvernance est mouillé jusqu’au cou, si l’on en croit des officines proches du pouvoir. Vraie ou fausse, cette affaire effiloche sa crédibilité. S’y ajoute une virginité politique qui lui a été fatale. Mezza voce, certains de ses partisans n’ont pas compris sa rencontre avec Wade, au beau milieu de la campagne. Pis, ils ne la lui pardonnent pas.
Le «sixième» candidat
Par la force des choses, l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade, a réussi à s’incruster dans la campagne dans le rôle du sixième larron. Son «ni-ni» final, précédé par un appel à l’autodafé des documents électoraux ont plus joué en défaveur de l’opposition. Tous les analystes sérieux avaient prédit que la position de Wade ouvrait un boulevard à Macky Sall.
