Aujourd’hui, la “dynastie Faye-Sall”. Hier, le “clan Wade”. Abdou Diouf et Léopold Sédar Senghor, non plus, n’échappent aux reproches selon lesquelles, au Sénégal, généralement, les familles des présidents prennent le pouvoir pour leur bien propre.
Les hommes passent. Les prati- ques demeurent. De 1960 à nos jours, les différents présidents qui se sont succédé au sommet de l’Etat se sont fait remarquer par des nominations controversées, basées uniquement sur le népotisme. A des degrés différents, Senghor, Diouf, Wade, aujourd’hui Macky Sall se sont illustrés dans ce jeu aux antipodes de la démocratie et de la bonne gouvernance. Cellesci requièrent entre autres principes fondamentaux : la transparence et l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
Ironie de l’histoire, ce sont les coupables d’hier qui se retrouvent plaignants aujourd’hui. Abdoulaye Wade accuse : “Macky Sall a confié la Caisse des dépôts et consignations à son frère, alors qu’il avait assuré qu’il n’allait jamais le nommer. Nous avons compris son jeu. Il y a beaucoup de milliards dans cette Caisse. Et c’est le directeur qui gère tout. Il peut y puiser de l’argent sans qu’on le sache. Pourquoi l’a-t-il donné à son frère et non au frère d’un autre… Sachez que le PDS bayi wul dara te du bayi dara (Le PDS ne lâche rien). Nous allons résoudre tous ces scandales.”
Qui l’eût cru? Abdoulaye Wade accuser Macky Sall de privilégier des membres de sa famille, au détriment des autres citoyens sénégalais ! Le fait est invraisemblable pour susciter non seulement l’intérêt, mais aussi le déchaînement dans le landerneau politique national. Suffisant pour faire dire à Amadou Tidiane Wane, témoin privilégié de l’histoire politique du Sénégal, ancien conseiller très proche de Diouf, ancient collaborateur de Wade, que l’ancien président est “fou”. Wade, Senghor et Diouf
A en croire l’ancien maire de Kanel, l’exchef de l’Etat prenait son fils pour le centre du monde. “Pour Abdoulaye Wade, Karim est Rabu samaawaati wal ard (dieu du ciel et de la terre)”, estime-t-il.
Les deux hommes étaient très liés. Ils se vouaient un respect mutuel. Il n’empêche, l’ancien maire lui dit ses vérités. Il rappelle : “En 2008, j’ai été le voir au Palais de la République. Il courait à l’époque le bruit selon lequel il voulait se faire remplacer par son fils. Je lui ai dit dans le blanc des yeux : “Ce que vous voulez là, ce n’est pas possible”. Il m’a regardé et m’a demandé de quoi je par- lais. Je lui réponds : “Vous voulez que Karim vous succède, ce qui n’est pas possible.” Il s’est renfrogné. J’ai continué : “Vous devez le sortir du gouvernement. Si vous voulez, vous reformatez votre parti, le PDS, vous le confiez à Karim. Cinq ans après votre départ, il pourra revenir prétendre diriger le pays. Mais il ne peut l’être immédiatement après vous.” Il me tend la main et me dit : “laaju mala”. (Je ne t’ai rien demandé), se rappelle M. Wane en éclatant de rire.
A sa sortie de ce face-à-face avec Wade, le conseiller Wane avait croisé des responsables du PDS, dont Abdoulaye Faye, Pape Diop, le défunt Ousmane Masseck Ndiaye… bref toute l’arrièrecour de l’ancien président qui lui disait qu’on l’avait monté contre le chef. Pourtant Abdoulaye Wade lui vouait une grande considération. “Ce n’était pas un problème pour moi. Je suis sorti de cette audience très soulagé. Car je lui ai dit ce que je pensais de cette affaire. C’est comme ça que j’ai travaillé avec Diouf, avec tout le monde. Malheureusement, ses plus proches collaborateurs n’osaient pas lui dire la vérité. Il ne m’a pas écouté. Il en a payé les conséquences”, analyse l’ancien maire de Kanel.
Toutefois, ce serait réducteur de vouloir résumer la propension népotiste de Wade à la seule nomination de Karim Wade, caricaturé ministre du ciel et de la terre. En effet, outre son fils aîné, le pape du Sopi a aussi promu sa fille Syndiély à la tête du Fesman, son neveu Ndiouga Sakho, directeur général de la Sapco, sa nièce Fatou Ndiaye consul à Houston. La liste est loin d’être exhaustive. En plus de ces nominations, il avait confié son Groupe parlementaire à son neveu Doudou Wade et avait promu son neveu et garde du corps Lamine Faye au grade d’Officier de police judiciaire. Mais de toutes ces nominations, celle de Karim Wade aura sans doute été la plus controversée. D’autant plus que, selon Amadou Tidiane Wane, Karim Wade n’avait ni la “compétence ni l’intelligence de dire à son père de le laisser en dehors du pouvoir. En plus, on ne l’a connu que quand son père est arrivé au pouvoir”. Ce qui fait dire à M. Wane que Wade, “c’est le voleur qui crie au voleur”.
Le tout puissant Colin
Mais la pratique du népotisme au Sénégal n’a pas commencé avec Abdou- laye Wade. Même si de nombreux observateurs s’accordent à reconnaître que cela a pris des proportions jamais égalées sous son magistère. Léopold Sédar Senghor, d’après certains témoignages, a toujours été réticent à placer des membres de sa famille au niveau des organes étatiques. Il lui arrivait rarement de le faire. Avec lui, on a ainsi noté les nominations du tout puissant Jean Colin qui était l’époux de sa nièce, de Maurice Sonar Senghor son neveu, mais surtout d’Adrien Senghor qui était nommé ministre et qui était aussi neveu du président-poète. Pour Amadou Tidiane Wane, ce dernier a même, à un moment, émis le souhait “d’être nommé premier ministre et éventuellement bénéficier de l’article 35 pour remplacer son oncle à la tête de l’Etat. Senghor lui avait répondu de ne jamais y penser. Senghor a toujours tenu sa famille proche loin des affaires de l’Etat”.
Jean Colin était certes l’époux de sa nièce, mais il a aussi été Commandant de cercle à Diourbel avant l’indépendance. Par la suite, il a été au Cameroun avant de revenir pour être gouverneur à l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. “Je pense qu’il a été nommé surtout pour sa compétence, sa rigueur et non parce qu’il est l’époux de la nièce du Président. Quant à Pierre Senghor, son cousin, il était député maire. Il n’a jamais bénéficié du décret”, renchérit M. Wane. Ce dernier de poursuivre : “Pour ce qui est de ses enfants, il en avait trois : Philippe, Arfang et Guy Wali. Il n’a jamais pensé à les nommer à un poste étatique. Senghor a même eu à faire arrêter un de ses enfants et l’avait déclaré persona non grata. Je ne saurais dire si c’était par principe ou parce qu’il n’était pas l’enfant de Colette. Toujours est-il qu’il n’a jamais permis à ses enfants de jouer un rôle au Sénégal”, témoigne l’auteur de “De Colin à Diouf, un chaume de mil au cœur du pouvoir”. La preuve, selon lui, c’est Philippe qui a pourtant fait tout son cursus au Sénégal, et qui est mort dans un accident au Sénégal. “Il n’a jamais été nommé alors qu’il l’aimait plus que tout. C’était vraiment sa conception du pouvoir.”
En ce qui concerne Abdou Diouf, il avait presque la même conception que Senghor. Mais, à en croire Amadou Tidiane Wane, c’était surtout parce qu’il y avait Colin qui ne le laissait pas faire tout ce qu’il voulait. “En plus, il n’était pas courageux. Il avait peur des critiques”, confie son ex-collaborateur qui dit l’avoir convaincu de promouvoir ses frères Maguette et Djibril Diouf. Maguette est ainsi passé de la Direction de l’informatique de l’Etat au ministère de la Modernisation de l’Etat. Djibril, de l’Oncad à la Sonar. “Mais c’est parce qu’ils avaient tous les deux le profil”, s’empresse-t-il d’ajouter. Aussi a-t-il nommé comme ministre de l’Intérieur, puis des Forces Armées, son oncle Médoune Fall, Doudou Diop comme Consul du Sénégal à Paris…
La dynastie Faye-Sall
Enfin vient l’actuel président de la République Macky Sall à qui on reproche d’avoir transformé la République en dynastie Faye Sall voire Gassama. Sall comme ses parents directs, Faye comme sa belle famille, Gassama comme la famille de son homonyme. Même si une longue liste de personnes promues juste parce qu’elles seraient de la “dynastie” circule à travers internet, nous ne citerons que les plus célèbres. Il s’agit en l’occurrence de Mansour Faye (frère de l’épouse nommé ministre de l’Hydraulique), Abdoulaye Thimbo qui a été DG du défunt Fonds national de promotion de la jeunesse, actuellement maire de Pikine, Aïcha Gassama, ancien agent judiciaire de l’Etat, pour ne citer que ceux-là. Avec la nomination d’Aliou Sall, certains n’ont pas manqué de considérer qu’il a franchi le Rubicon. Pour Amadou Tidiane Wane, “c’est parce qu’il a manqué d’intelligence sur ce cas. Comment quelqu’un qui a dirigé une grande société (Petrosen), qui a été ministre de l’Energie, de l’Intérieur, président de l’Assemblée nationale, peut- il commettre de telles bourdes, juste parce qu’il veut avoir de l’argent pour la Présidentielle de 2019, C’est parce qu’il manque d’intelligence.”
Senegal7 avec enquête
